La Ligue Internationale Contre la Détention Arbitraire exhorte le Gouvernement Saoudien à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre l’avis n° 27/2023 du Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire concernant Salma bint Sami bin Abdulmohsen al-Shehab et Nourah bin Saeed al-Qahtani, en demandant au Gouvernement Saoudien de les libérer immédiatement et sans condition, ainsi que leur accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d’autres réparations conformément au droit international.
Lire l'intégralité de l'avis du GTDA concernant Salma bint Sami bin Abdulmohsen al-Shehab et Nourah bin Saeed al-Qahtani (Arabie Saoudite): Opinion No. 27/2023.
DEUX DÉFENSEUSES DES DROITS DE L'HOMME ARRÊTÉES POUR LEUR ACTIVISME EN LIGNE
Salma bint Sami bin Abdulmohsen al-Shehab et Nourah bin Saeed al-Qahtani sont toutes deux des ressortissantes d’Arabie Saoudite, et étaient âgées respectivement de 34 et 47 ans au moment de leur arrestation.
Mme Al-Shehab milite pour les droits des femmes et est membre de la minorité musulmane chiite d'Arabie Saoudite. À de nombreuses reprises, elle a défendu pacifiquement les droits des femmes sur les réseaux sociaux, notamment Twitter. De même, Mme Al-Qahtani partageait ses opinions sur Twitter concernant les affaires politiques et les droits de l'homme en Arabie Saoudite, appelant notamment à la libération des détenus politiques et critiquant les abus commis par les autorités.
Le 15 janvier 2021, Mme Al-Shehab a été convoquée pour un « interrogatoire » dans les locaux de la Direction de la sûreté de l'État à Dammam. Les agents l'ont interrogée sur ses activités en ligne et ont tenté de la contraindre à déclarer son soutien aux Frères Musulmans. À partir de ce jour, Mme Al-Shehab a été détenue en prison et fréquemment interrogée et harcelée par des officiers. Quant à Mme Al-Qahtani, elle a été arrêtée par des agents de la Direction de la sûreté de l'État le 4 juillet 2021.
En février et mars 2022, toutes deux ont été condamnées en vertu de la loi sur la lutte contre le terrorisme, sur la base d'accusations similaires - à savoir avoir menacé la sécurité nationale et l'ordre public et mis en danger la stabilité nationale par leurs activités en ligne. Mme Al-Shehab a été condamnée à 6 ans de prison, tandis que Mme Al-Qahtani a été condamnée à 13 ans de prison. Toutes deux ont également vu leur téléphone être confisqué et leur compte Twitter fermé. En août 2022, toutes deux ont été condamnées lors de leurs procès en appel respectifs pour des charges similaires, mais également pour de nouvelles charges en vertu des lois sur la lutte contre le terrorisme et sur la lutte contre la cybercriminalité, et ont été condamnées à des peines d'emprisonnement plus lourdes que celles prononcées à l'origine. Plus précisément, Mme Al-Shehab a été condamnée à 34 ans de prison, tandis que Mme Al-Qahtani a été condamnée à 45 ans de prison.
Le Gouvernement a eu la possibilité de répondre à ces allégations, ce qu'il a fait.
ARRÊTÉES SANS MANDAT ET DÉTENUES AU SECRET SUR LA BASE DE LOIS VAGUES
Mme Al-Shehab aurait été arrêtée sans mandat et informée des charges retenues contre elle seulement 10 mois après son arrestation. Le Gouvernement a affirmé qu'elle avait été arrêtée pour terrorisme en vertu d’un mandat d'arrêt et que Mme Al-Shebab et Mme Al-Qahtani avaient été informées des raisons de leur arrestation. Considérant que la réponse du Gouvernement manquait de spécificité en ce qui concerne les informations données sur le mandat d'arrêt, le Groupe de Travail a établi que le droit de Mme Al-Shebab de ne pas être arbitrairement arrêtée et détenue, garanti par l'article 9 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, avait été violé.
La source a aussi allégué qu'après son arrestation Mme Al-Shehab auraitu été détenue au secret pendant 13 jours, au cours desquels elle n'aurait pas été autorisée à entrer en contact avec un avocat ni à correspondre avec sa famille. Après cette période, elle n'aurait toujours pas été autorisée à informer sa famille du lieu où elle se trouvait et n'aurait pu consulter un avocat qu'en octobre 2021. Le Gouvernement a répondu que Mme Al-Shebab aurait bénéficié du droit à des visites et à des communications régulières depuis le début de sa détention. Le Groupe de Travail a jugé cette réponse insuffisante car elle n'indiquait pas assez précisément les interactions que Mme Al-Shebab aurait été autorisée à avoir pendant les 13 premiers jours de sa détention. Dans ces conditions, le Groupe de Travail a considéré que pendant sa détention provisoire, les droits de Mme Al-Shebab d'être protégée par la loi, de contester la légalité de sa détention et d'avoir accès à un recours effectif avaient été violés, en vertu des articles 3, 6, 8 et 9 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
En outre, Mmes Al-Shehab et Al-Qahtani ont été poursuivies et condamnées sur le fondement de plusieurs articles de la loi sur la lutte contre le terrorisme et de la loi sur la lutte contre la cybercriminalité. Selon la source, ces dispositions créent une insécurité juridique, ce que le Gouvernement a réfuté. Rappelant les conclusions antérieures de plusieurs organes des Nations Unies, le Groupe de Travail a noté que ces dispositions étaient effectivement formulées en des termes vagues et généraux. Ce faisant, le Groupe de Travail a estimé que l'utilisation de ces articles, ainsi que l'ajout de peines d’emprisonnement discrétionnaires de 1 et 5 ans aux peines prononcées à l’encontre de Mme Al-Shehab et Mme Al-Qahtani, ont violé le principe de légalité, tel qu’énoncé à l'article 11 (2) de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
En somme, le Groupe de Travail a donc conclu que l'arrestation et la détention de Mmes Al-Shehab et Al-Qahtani étaient arbitraires au titre de la catégorie I, car dépourvues de base légale.
DÉTENUES POUR AVOIR EXERCÉ LEURS DROITS FONDAMENTAUX À LA LIBERTÉ D'OPINION, D'EXPRESSION ET DE PARTICIPATION AUX AFFAIRES PUBLIQUES
La source a fait valoir que Mme Al-Shehab et Mme Al-Qahtani auraient été détenues en raison de l'exercice de leur droit à la liberté d'expression, en particulier en raison de leur militantisme en faveur des droits de l'homme sur Twitter. Le Gouvernement a déclaré respecter le droit à la liberté d'opinion et d'expression, à moins qu'il ne mette en danger l'ordre public et/ou les normes sociales. En l'occurrence, le Gouvernement a affirmé que Mmes Al-Shehab et Al-Qahtani auraient commis des crimes terroristes graves, justifiant leur détention.
Rappelant les cas similaires qu'il a eu à examiner dans le passé, le Groupe de Travail a noté qu'il était fréquent que des personnes soient détenues arbitrairement sur la base des lois sur la lutte contre le terrorisme et sur la lutte contre la cybercriminalité pour avoir publié des commentaires en ligne traduisant leurs opinions politiques. Le Groupe de Travail a estimé que la diffusion en ligne, par Mmes Al-Shehab et Al-Qahtani, de messages relatifs aux droits de l'homme s'inscrivait dans le cadre de l'exercice légitime de leurs libertés d'opinion et d'expression, ainsi que de leur droit à prendre part à la direction des affaires publiques, dans la mesure où leurs activités en ligne concernaient des questions d'intérêt public. Le Groupe de Travail a également noté que le Gouvernement n'a pas prouvé qu'il existait des raisons légitimes de limiter ces libertés. Le Groupe de Travail a donc estimé que les droits susmentionnés de Mmes Al-Shehab et Al-Qahtani, protégés par les articles 19 et 21 (1) de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, avaient été violés.
Par conséquent, le Groupe de Travail a estimé que les détentions de Mmes Al-Shehab et Al-Qahtani étaient arbitraires et relevaient de la catégorie II.
VIOLATIONS MULTIPLES DU DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE
Bien qu'il ait été décidé qu'aucun procès n'aurait dû avoir lieu, Mme Al-Shehab et Mme Al-Qahtani ont toutes deux été jugées et condamnées à de lourdes peines - respectivement 34 et 45 ans d'emprisonnement.
Après son arrestation, Mme Al-Shehab a été détenue au secret pendant 13 jours et placée en détention provisoire pendant 10 mois sans comparaître devant une autorité judiciaire. Elle a finalement été présentée devant une telle autorité en octobre 2021, puis a été jugée dans le cadre d'un procès à huis clos. Considérant la réponse du Gouvernement comme insuffisante car ne justifiant pas les retards dans la procédure contre Mme Al-Shehab, le Groupe de Travail a estimé que cette situation avait violé ses droits à la présomption d'innocence et à être jugée sans retard injustifié, tels que garantis par les articles 10 et 11 (1) de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
Mme Al-Shehab s'est vue refuser l'accès à un avocat jusqu'en octobre 2021, et a donc été interrogée sans avocat pendant sa détention provisoire. Lorsqu'un avocat lui a été accordé, leurs communications ont été surveillées. En outre, des changements inopinés dans le calendrier du procès ont empêché son équipe juridique de préparer sa défense de manière adéquate. Bien que le Gouvernement ait répondu que Mme Al-Shehab avait accès à un avocat, le Groupe de Travail a jugé cette réponse insuffisante car elle ne fournissait pas d’informations sur la période antérieure à octobre 2021 et les conditions dans lesquelles cet accès lui avait été accordé. Ainsi, le Groupe de Travail a considéré que cette situation avait violé le droit de Mme Al-Shehab à bénéficier à tout moment d’une assistance juridique et à un procès équitable et public devant un tribunal compétent, indépendant et impartial créé par la loi, conformément aux articles 10 et 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
En outre, pendant sa détention au secret et à sa mise à l'isolement, Mme Al-Shehab aurait été soumise à des traitements cruels et dégradants, à savoir des menaces, des insultes, du harcèlement et des méthodes d'interrogatoire illégitimes. Le Gouvernement a nié ces allégations de manière générale, sans aborder les allégations précises. Compte tenu de ce qui précède, le Groupe de Travail a estimé que le droit de Mme Al-Shehab de ne pas être soumise à la torture ou autres peines ou mauvais traitements traitements, protégé par l'article 5 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, avait été violé et a exprimé, en sus, ses préoccupations quant à l'impact que cela pourrait avoir sur sa capacité à se défendre.
Les deux personnes ont été jugées par le Tribunal Pénal Spécialisé, dont l'indépendance et l'impartialité ont été remises en question par divers organismes de défense des droits de l'homme selon la source. Notamment, ce tribunal aurait toujours refusé de donner suite aux allégations de torture formulées par des personnes accusées de terrorisme. Confirmant ces précédentes constatations, le Groupe de Travail a conclu que les droits de Mmes Al-Shehab et Al-Qahtani à être jugées par un tribunal indépendant et impartial et à être présumées innocentes, garantis par les articles 10 et 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, avaient été violés.
Enfin, les procès en première instance et en appel de Mme Al-Shehab et de Mme Al-Qahtani se seraient déroulés à huis clos, privant ainsi le public d'accès et de transparence. Considérant la réponse du Gouvernement insuffisante puisque ne mentionnant que ce que ses lois nationales prescrivent, le Groupe de Travail a estimé que le droit de ces deux personnes à un procès public avait été violé, en vertu de l'article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Par ailleurs, le Groupe de Travail a exprimé sa préoccupation quant aux peines de prison longues et disproportionnées prononcées à l’encontre de Mme Al-Shehab et Mme Al-Qahtani.
En conséquence, le Groupe de Travail a conclu que les violations du droit à un procès équitable de Mme Al-Shehab et de Mme Al-Qahtani étaient d'une gravité telle qu'elles rendaient leur détention arbitraire au titre de la catégorie III.
DISCRIMINÉES EN RAISON DE LEUR ACTIVISME ET POUR L'UNE D'ELLE, ÉGALEMENT EN RAISON DE SON GENRE ET DE SA RELIGION
La source a affirmé que la détention de Mme Al-Shehab et de Mme Al-Qahtani résultait de leurs opinions politiques et de leurs activités de défense des droits de l'homme en ligne. Elles ont toutes deux été accusés de terrorisme bien que leur activisme n'y soit pas lié, et jugées par le Tribunal Pénal Spécialisé, dont les conclusions précédentes des Nations Unies considèrent qu'il est de plus en plus utilisé pour cibler les activistes. De plus, concernant Mme Al-Shehab uniquement, son arrestation aurait également résulté de son genre et de son appartenance à la communauté musulmane chiite.
Le Gouvernement a réfuté les allégations ci-dessus. Le Groupe de Travail a toutefois estimé que leur réponse était insuffisante car, une fois de plus, le Gouvernement ne s'appuyait que sur sa propre législation nationale, et a considéré qu'il existait des preuves solides de discrimination dans cette affaire. Ainsi, le Groupe de Travail a considéré que ces deux personnes avaient été détenues sur une base discriminatoire, notamment en raison de leur activisme et de leur expression pacifique, ainsi qu'en raison du genre et de la religion s’agissant de Mme Al-Shehab, ce qui constitue une violation des articles 2 et 7 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
Par conséquent, le Groupe de Travail a considéré que les détentions de Mme Al-Shehab et de Mme Al-Qahtani étaient arbitraires et relevaient de la catégorie V.
CONCLUSIONS DU GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES CONTRE LA DÉTENTION ARBITRAIRE
À la lumière de ce qui précède, le Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire a estimé que les détentions de Salma bint Sami bin Abdulmohsen al-Shehab and Nourah bin Saeed al-Qahtani étaient arbitraires et relevaient des catégories I, II, III et V car leur privation de liberté était contraire aux articles 3,5, 7, 9, 11, 19 et 29 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Le Groupe de Travail a demandé au Gouvernement Saoudien de prendre sans délai les mesures nécessaires pour remédier aux situations de Mmes. Al-Shehab et Al-Qahtani, et de les mettre en conformité avec les normes internationales pertinentes. Compte tenu des circonstances de l’affaire, le Groupe de Travail a estimé que la mesure appropriée serait de les libérer immédiatement et leur accorder le droit d’obtenir réparation, notamment sous la forme d’une indemnisation, conformément au droit international.
Le Groupe de Travail a également demandé au Gouvernement Saoudien de mettre ses lois, en particulier la loi sur la lutte contre le terrorisme, en conformité avec le droit international en matière de droits de l'homme.
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