La Ligue internationale contre la détention arbitraire exhorte le gouvernement de Bahreïn à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre l'avis n° 2/2023 du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire concernant M. Abduljalil Abdulla Yusuf Ahmed Al-Singace, demandant au gouvernement de Bahreïn de libérer immédiatement et sans condition M. Al-Singace et lui accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d'autres réparations conformément au droit international.
Lire l'avis complet du WGAD concernant Abduljalil Abdulla Yusuf Ahmed Al-Singace (Bahreïn) : Avis No. 2/2023
UN DÉFENSEUR DES DROITS SOUMIS À UNE DISPARITION FORCÉE ET UNE DÉTENTION AU SECRET
M. Abduljalil Abdulla Yusuf Ahmed Al-Singace, né en 1962, est un éminent défenseur des droits humains bahreïnien connu pour son travail de plaidoyer et son blog Al-Faseelah, où il publie des articles écrits par lui et d'autres sur la situation des droits humains au Bahreïn. En 2009 déjà, le blog avait été bloqué et M. Al-Singace avait été arrêté et détenu à l'isolement, puis relâché après des pressions internationales. En tant que défenseur des droits humains, M. Al-Singace est connu pour avoir été parmi les premiers à documenter des cas de prisonniers d'opinion et à envoyer des communications et des rapports parallèles aux mécanismes des droits humains des Nations Unies sur la situation à Bahreïn.
Le 17 mars 2011, M. Al-Singace a été arrêté sous la menace d'une arme et n'a reçu ni mandat d'arrêt, ni été informé du motif de son arrestation, ni présenté rapidement devant une autorité judiciaire, en violation des articles 9 (1) et 9 (3) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
En outre, le Groupe de travail a constaté qu'il avait été victime d'une disparition forcée et d'une détention au secret, en violation des articles 9 et 14 du Pacte, une pratique interdite par le droit international qui constitue une forme particulièrement aggravée de détention arbitraire. En effet, le droit de tout détenu de communiquer avec le monde extérieur et de recevoir la visite de sa famille constitue une garantie fondamentale contre toute tentative des autorités de violer ses droits humains, notamment par la torture ou tout autre mauvais traitement et disparition forcée.
Le Groupe de travail a donc estimé que le Gouvernement n’avait pas établi de fondement juridique à la détention de M. Al-Singace, rendant ainsi sa détention arbitraire au titre de la catégorie I.
ARRÊTÉ ET DÉTENU POUR L'EXERCICE DE SES DROITS A LA LIBERTÉ D'EXPRESSION ET DE RÉUNION
M. Al-Singace a participé activement aux manifestations en faveur de la démocratie de 2011 qui ont éclaté un mois avant son arrestation au Bahreïn. Il a par la suite été jugé et condamné aux côtés de 12 autres militants de premier plan, tous arrêtés en raison de leur rôle dans les manifestations.
Le Groupe de travail a estimé qu'en participant à une manifestation pacifique en faveur de la démocratie, M. Al-Singace exerçait son droit à la liberté d'opinion et d'expression, qui protège l'expression d'opinions pacifiques, y compris celles qui critiquent la politique gouvernementale. Il exerçait également son droit de réunion pacifique et d’association avec d’autres personnes partageant les mêmes idées et impliquées dans les manifestations. Le Groupe de travail a conclu que M. Al-Singace avait été détenu pour avoir exercé pacifiquement ses droits consacrés aux articles 19 et 20 de la Déclaration universelle et aux articles 19, 21 et 22 du Pacte. Le Groupe de travail a donc conclu que la détention de M. Al-Singace était arbitraire au titre de la catégorie II.
SOUMIS À DES ACTES DE TORTURE ET CONDAMNÉ À LA PRISON À VIE PAR UN TRIBUNAL MILITAIRE SANS ACCÈS EFFICTIF À UN AVOCAT
Le Groupe de travail a souligné qu'en raison du caractère arbitraire de l'arrestation et de la détention de M. Al-Singace, aucun procès n'aurait dû avoir lieu. Toutefois, M. Al-Singace a été jugé et condamné à la réclusion à perpétuité le 22 juin 2011 pour tentative de renversement du gouvernement. Cette peine a été confirmée le 7 janvier 2013.
Le Groupe de travail a noté que M. Al-Singace n'avait pas eu accès à un avocat au début de sa détention, ni à d'autres étapes clés de la procédure d'investigation, notamment pendant son interrogatoire, en violation de l'article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et article 14 (1) et (3) (b) et (d) du Pacte. De plus, M. Al-Singace a été jugé par le tribunal militaire. Le Groupe de travail a rappelé que les tribunaux militaires sont compétents pour juger uniquement les militaires pour des infractions militaires et ne doivent en aucun cas juger des civils, quelles que soient les accusations. Comme le Groupe de travail l’a toujours soutenu dans sa jurisprudence, un tribunal composé de militaires ne peut pas être considéré comme un tribunal compétent, indépendant et impartial, comme l’exige le droit international des droits humains. Enfin et surtout, le Groupe de travail a considéré que la source avait présenté des éléments prima facie crédibles selon lesquels M. Al-Singace avait subi des actes de torture et des mauvais traitements contraires à l'article 5 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et à l'article 7 du Pacte en étant contraint de dormir par terre, privé de produits d'hygiène, privé de ses béquilles dans sa cellule et privé de sommeil.
Le Groupe de travail a par conséquent estimé que les violations du droit de M. Al-Singace à un procès équitable sont d’une telle gravité qu’elles rendent sa détention arbitraire au titre de la catégorie III.
UNE POLITIQUE DISCRIMINATOIRE BASÉE SUR DES OPINIONS POLITIQUES
Le Groupe de travail a rappelé que, lorsque la détention résulte de l'exercice actif de droits civils et politiques, il existe une forte présomption que la privation de liberté constitue également une violation du droit international fondée sur des opinions politiques. Le Groupe de travail a estimé que les événements précédant l’arrestation de M. Al-Singace démontrent clairement une attitude adoptée par les autorités à son égard en ce qui concerne l’exercice pacifique de ses droits fondamentaux, qui a finalement abouti à son arrestation et à sa détention. Le Groupe de travail a donc conclu que M. Al-Singace avait été privé de liberté pour des motifs discriminatoires, à savoir ses opinions politiques, contrairement aux articles 2 et 7 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et aux articles 2 (1) et 26 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. du Pacte, rendant sa détention arbitraire au sens de la catégorie V.
Enfin, le Groupe de travail a noté que la présente affaire suit le schéma de nombreuses autres affaires portées devant le Groupe de travail ces dernières années concernant la privation arbitraire de liberté à Bahreïn ; arrestation sans mandat, détention provisoire avec accès limité au contrôle judiciaire, refus d'accès à un avocat, aveux forcés, torture et mauvais traitements et refus de soins médicaux. Le Groupe de travail a rappelé que, dans certaines circonstances, l'emprisonnement généralisé ou systématique en violation des règles du droit international peut constituer des crimes contre l'humanité.
CONCLUSIONS DU GROUPE DE TRAVAIL CONTRE LA DÉTENTION ARBITRAIRE
À la lumière de ce qui précède, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a considéré que la détention d'Abduljalil Abdulla Yusuf Ahmed Al-Singace était arbitraire et relevait des catégories I, II, III et V car contraire aux articles 2, 3, 5 à 11, 19 et 20 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et aux articles 2, 7, 9, 14, 16, 19, 21, 22 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Le Groupe de travail a recommandé au gouvernement de Bahreïn de prendre sans délai les mesures nécessaires pour remédier à la situation de M. Al-Singace et la rendre conforme aux normes internationales pertinentes, en commençant par sa libération immédiate et lui accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d’autres réparations.
Comments