La Ligue Internationale Contre la Détention Arbitraire exhorte le Gouvernement de la Libye à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre l'Avis No. 48/2023 du Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire concernant Ali Suleiman Masoud Abdel Sayed, en commençant par le libérer immédiatement et sans condition et par lui accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d'autres réparations conformément au droit international.
Lire l'intégralité de l'avis du GTDA concernant Ali Suleiman Masoud Abdel Sayed (Libye): Avis No. 48/2023.
ARRESTATION D'UN ANCIEN EMPLOYÉ DE PRISON ASSOCIÉ À L'ANCIEN RÉGIME
Ali Suleiman Masoud Abdel Sayed est un ressortissant Libyen de 55 ans et un ancien employé de la prison de Hadbah, qui détenait des hauts dirigeants et les principaux collaborateurs de l'ancien régime. En 2014, la prison aurait été violemment attaquée par différentes milices rivales, dont la Force spéciale de dissuasion, qui en ont pris le contrôle. L'enlèvement de Mr. Abdel Sayed serait à titre de représailles contre des acteurs du soulèvement Libyen.
Le 17 août 2016, Mr. Abdel Sayed a été enlevé par des membres de la 8e division de sécurité, affiliée au ministère de l'Intérieur du gouvernement d'entente nationale, alors qu'il se trouvait à proximité de la station-service Al-Gargarni à Ayn Zara. Il a ensuite été emmené dans un lieu inconnu.
Après son arrestation, la famille de Mr. Abdel Sayed a cherché à obtenir des informations auprès de différents postes de police, du Ministère de l'Intérieur et du Procureur Général, qui ont tous refusé de prendre des mesures ou de fournir des informations. Des sources non officielles ont ensuite révélé que Mr. Abdel Sayed avait été détenu dans plusieurs centres de détention contrôlés par diverses milices à Tripoli, y compris la Force spéciale de dissuasion. Ces milices affirment être affiliées au Ministère de l'Intérieur et au Procureur Général de Tripoli mais opèrent de manière indépendante.
Le 14 avril 2021, Mr. Abdel Sayed a été présenté au Ministère Public, où il a appris qu'il était accusé de « dissimulation de faits » et qu'il serait libéré dans l'attente de son procès le 17 décembre 2022, ce qui n'a toutefois pas été le cas. Le 20 février 2023, la Cour d'appel de Tripoli l'a acquitté de tous les chefs d'accusation, mais la Force spéciale de dissuasion a refusé de le libérer et l'a ramené au centre de détention de Mitiga, contrôlé par les milices susmentionnées. Bien que le Gouvernement ait eu la possibilité de répondre à ces allégations, il a choisi de ne pas le faire.
ARRÊTÉ SANS MANDAT, SOUMIS À UNE DISPARITION FORCÉE ET DÉTENU BIEN QU'AYANT ÉTÉ ACQUITTÉ
Premièrement, il n'a pas été contesté que Mr. Abdel Sayed a été arrêté le 17 août 2016 par la 8e division de la sécurité du ministère de l'Intérieur du Gouvernement d'entente nationale sans mandat d'arrêt ni informations rapides données sur les raisons de son arrestation et de sa détention. Il n'a été informé des accusations portées contre lui que 5 ans plus tard, le 14 avril 2021, alors qu'il était présenté au Ministère Public pour la première fois. À ce titre, le Groupe de Travail a estimé que cette situation constituait une violation des articles 3 et 9 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de l'article 9(1) et (2) du Pacte.
En outre, Mr. Abdel Sayed a été détenu pendant plus de 6 ans avant d'être présenté à une autorité judiciaire, le 17 décembre 2022. Le Groupe de Travail a ainsi considéré que sa détention prolongée sans contrôle judiciaire constituait une violation de l'article 9(3) du Pacte, qui exige que les individus soient présentés à un juge dans les 48 heures suivant leur arrestation. Dans ces circonstances, le Groupe de Travail a également noté que la détention provisoire de Mr. Abdel Sayed n'était ni raisonnable ni nécessaire, constituant ainsi une violation supplémentaire de l'article 9(3) du Pacte qui indique qu'une telle détention devrait être l'exception et non la règle.
En outre, après son arrestation, l'incapacité de sa famille à le localiser et le refus des autorités de divulguer le lieu où il se trouve indiquent une disparition forcée, en violation de l'article 9 (1) du Pacte et du droit international. Le Groupe de Travail a donc conclu que les droits de Mr. Abdel Sayed de contester la légalité de sa détention, d'être protégé par la loi et d'avoir accès à un recours effectif, consacrés par les articles 2(3), 9(3), (4) et 16 du Pacte et par les articles 6 et 8 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, avaient été violés.
Enfin, malgré une décision de justice du 20 février 2023 l'acquittant de toutes les charges, Mr. Abdel Sayed était toujours détenu au moment de la communication de la source au Groupe de Travail. Le Groupe de Travail a donc considéré que son maintien en détention était dépourvu de toute base légale, en violation de l'article 9(1) du Pacte.
Le Groupe de Travail a donc conclu que l'arrestation et la détention de Mr. Abdel Sayed étaient arbitraires au sens de la catégorie I, car dépourvues de base légale.
DÉTENU EN DÉTENTION PROVISOIRE DEPUIS PLUS DE SIX ANS
Mr. Abdel Sayed a été détenu pendant plus de 6 ans sans être jugé dans un délai raisonnable, ne comparaissant devant un tribunal pénal que le 17 décembre 2022 et étant acquitté le 20 février 2023. Le Gouvernement n'ayant fourni aucune justification pour ce retard, le Groupe de Travail a estimé qu'il s'agissait d'une violation des droits de Mr. Abdel Sayed à être jugé dans un délai raisonnable et sans retard excessif, consacrés par les articles 9(3) et 14(3)(c) du Pacte.
En outre, Mr. Abdel Sayed s'est vu refuser la possibilité de communiquer avec un avocat et d'accéder à son dossier pendant la phase d'instruction, ce qui a été aggravé par le fait qu'il a été détenu au secret à deux reprises. Le Groupe de Travail a affirmé que tous les détenus ont le droit à une assistance juridique dès le début de leur détention, ce qui a été refusé à Mr. Abdel Sayed, en violation de l'article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et de l'article 14(3)(b) du Pacte. Ce manque d'accès à un avocat a compromis sa capacité à se défendre, tout comme les allégations non réfutées de torture, ce qui a encore porté atteinte à son droit à un procès équitable et à la présomption d'innocence en vertu de l'article 14(2) et (3)(g) du Pacte.
En conséquence, le Groupe de Travail a soumis ce cas au Rapporteur Spécial sur la torture et a conclu que les violations du droit de Mr. Abdel Sayed à un procès équitable étaient si graves que sa détention était arbitraire au sens de la Catégorie III.
CONCLUSIONS DU GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES CONTRE LA DETENTION ARBITRAIRE
Le Groupe de Travail des Nations Unies contre la détention arbitraire considère la détention d'Ali Suleiman Masoud Abdel Sayed comme arbitraire, relevant des catégories I et III en raison de violations des articles 3, 6, 8, 9 et 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et des articles 2, 9, 14 et 16 du Pacte.
Compte tenu de ce qui précède, le Groupe de Travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a recommandé au Gouvernement Libyen de prendre les mesures nécessaires pour remédier sans délai à la situation de Mr. Abdel Sayed et la mettre en conformité avec les normes internationales pertinentes. Le Groupe de Travail a estimé que, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, le remède approprié serait de le libérer immédiatement et de lui accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d'autres réparations, conformément au droit international.
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