La Ligue internationale contre la détention arbitraire exhorte le Maroc à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre l'avis n° 23/2023 du Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire concernant Sidi Abdallah Abbahah, Mohamed El Bachir Boutangiza, Mohamed Bani, Abdel Jalil Laaroussi, Abdulahi Lakhfaouni, Ahmed Sbai, Sid'Ahmed Lemjaid, Brahim Ismaili, Mohammed Khouna Babait, Mohamed Embareh Lefkir, Ennaâma Asfari, Mohamed Bouryal, Mohamed Lamin Haddi, El Hasane Azaoui, Abdellah Toubali, El Bachir Khadda, El Hassan Eddah et Mohamed Tahlil, demandant au Maroc de les libérer immédiatement et de leur accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d'autres réparations conformément au droit international.
Lire l'intégralité de l'avis du GTDA concernant ces personnes (Maroc) : Avis 23/2023.
18 HOMMES - JOURNALISTES, ACTIVISTES OU IMPLIQUÉS DANS DES ORGANISATIONS SAHRAOUIES -ARRÊTÉS DANS LE CADRE DU DÉMANTÈLEMENT DU CAMP DE GDEIM IZIK
Messieurs Abbahah, Boutangiza, Bani, Laaroussi, Lakhfaouni, Sbai, Lemjaid, Ismaili, Babait, Lefkir, Asfari, Bouryal, Haddi, Azaoui, Toubali, Khadda, Eddah et Tahlil sont des ressortissants marocains, nés entre 1959 et 1987. Messieurs Lakhfaouni, Khadda et Eddah étaient journalistes, ce dernier étant également défenseur des droits de l'homme. Messieurs Sbai, Lemjaid, Ismaili, Lefkir, Asfari et Tahlil, ainsi que Mr. Khadda, étaient tous impliqués à différents niveaux dans des organisations sahraouies. Quant à messieurs Bouryal, Azaoui et Toubali, ils étaient membres du comité de dialogue avec le gouvernement Marocain.
Le 8 novembre 2010, sans avertissement préalable, les autorités ont démantelé le camp de Gdeim Izik dans lequel 15 000 Sahraouis s'étaient rassemblés pour protester contre les discriminations socio-économiques auxquelles ils étaient confrontés du fait des autorités marocaines. Le gouvernement a affirmé que ce démantèlement était nécessaire, car le camp avait pour objectif de déstabiliser la région et donc de menacer la sécurité nationale.
Des centaines d'arrestations ont eu lieu dans le cadre de ces événements. Parmi celles-ci, entre le 7 novembre 2010 et le 11 août 2011, ces 18 hommes ont été arrêtés à différents endroits et dans différentes circonstances (par exemple, alors qu'ils se trouvaient dans le camp ou qu'ils le fuyaient, au domicile d'un parent après avoir visité le camp...). À l'exception de M. Asfari et de M. Tahlil, tous avaient vraisemblablement visité le camp à un moment ou à un autre. Tous ont été inculpés et reconnus coupables soit de "formation d'une organisation criminelle et d'homicide volontaire", soit de "participation à l'homicide et à l'homicide volontaire". Ils ont été condamnés à des peines allant de 20 ans de prison à la perpétuité. Au moment de la communication de la source au Groupe de Travail, tous étaient encore détenus. Le gouvernement a eu la possibilité de contester ces allégations, ce qu'il a fait.
ARRÊTÉS ET DÉTENUS ARBITRAIREMENT, SANS MANDAT D'ARRÊT ET SANS REPRÉSENTATION LÉGALE
Tout d'abord, aucun d'entre eux ne s'est vu présenter un mandat d'arrêt lors de son arrestation. Si ces allégations n'ont pas été niées par le Gouvernement, ce dernier a cependant affirmé que messieurs Asfari, Bouryal et Bani avaient été arrêtés en flagrant délit. Le Groupe de travail a effectivement constaté que ces trois individus avaient été arrêtés en flagrant délit, dans des circonstances différentes. Néanmoins, en ce qui concerne les 15 autres personnes, le groupe de travail a trouvé la réponse du gouvernement insuffisante, concluant ainsi à une violation de l'article 9(1) et (2) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Lors de leur première audition, les 18 personnes ont également été privées de leur droit à une représentation juridique et à être informées de leurs droits. En outre, certains d'entre eux n'ont pas été authorisés à s'exprimer. Compte tenu de la réponse insuffisante du gouvernement, le Groupe de travail a estimé que ces personnes avaient été privées de leur droit de contester leur détention lors de leur audition initiale, en violation de l'article 9(3) du Pacte.
Toutefois, bien que la source ait allégué que les 18 personnes avaient été présentées à une autorité judiciaire avec un retard excessif, compte tenu des circonstances exceptionnelles de cet évènement, notamment sa violence à grande échelle et la nécessité de transporter les détenus dans un autre lieu, le Groupe de travail n'a pas constaté de violation à cet égard.
Compte tenu de tout ce qui précède, le groupe de travail a estimé que les droits des 18 personnes à la liberté et à la sécurité de leur personne et à ne pas être détenues arbitrairement, protégés par les articles 3 et 9 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et par l'article 9 du Pacte, avaient été violés. Par conséquent, le groupe de travail a estimé que les arrestations et les détentions de ces 18 personnes n'avaient pas de base légale, rendant leur privation de liberté arbitraire selon la catégorie I.
VIOLATION DE LEURS DROITS À UN PROCÈS ÉQUITABLE
La source affirme que les 18 personnes ont été arrêtées et détenues pour avoir exercé leurs droits à la liberté de pensée, d'expression, d'opinion, de réunion pacifique et d'association. En outre, la source affirme que ces personnes ont été prises pour cible en raison de leur origine sahraouie et de leurs opinions politiques concernant le droit à l'autodétermination du peuple sahraoui. Le gouvernement a répondu à ces allégations en affirmant que ces arrestations et détentions résultaient des violents affrontements qui ont eu lieu le 8 novembre 2010, et que tous ses citoyens avaient les mêmes droits. Considérant les circonstances exceptionnelles dans lesquelles ces arrestations ont eu lieu, ou auxquelles elles étaient liées, le Groupe de travail a accepté les réponses du gouvernement, et n'a donc pas constaté de violation en ce qui concerne les catégories II et V de détentions arbitraires.
Cependant, l'allégation de la source selon laquelle des preuves obtenues par la torture auraient été utilisées lors des procès des 18 personnes, ce que le gouvernement nie, a été jugée cohérente par le Groupe de travail. En outre, au cours de ces mêmes procès, les défenses respectives des 18 personnes n'ont pas été autorisées à contester l'utilisation de la torture. Le groupe de travail a donc constaté une violation du droit de ces personnes à un procès équitable, en vertu de l'article 10 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et de l'article 14 du Pacte.
La source a également allégué que l'attitude dominante de l'accusation contre les 18 personnes et l'implication des parties civiles ont privé les personnes de leur droit à être entendues par un tribunal indépendant et impartial. Le gouvernement a nié ces allégations, notamment en donnant des exemples des mesures prises par la Cour pour répondre aux demandes des défenses respectives des 18 individus. Considérant les deux parties, le Groupe de travail n'a constaté aucune violation à cet égard.
Cependant, la source a également allégué que les défenses respectives des 18 personnes n'ont pas été en mesure d'interroger les officiers de police concernant les allégations de torture auxquelles les détenus auraient été confrontés. Considérant la réponse du gouvernement comme insuffisante à cet égard, le Groupe de travail a donc constaté une violation du principe d'égalité des armes et du droit d'être entendu par un tribunal indépendant et impartial, selon l'article 14(1) et (3) du Pacte. Le Groupe de travail a également rappelé qu'il avait déjà eu à traiter des cas similaires concernant l'utilisation de preuves obtenues par la torture dans le cadre de procédures judiciaires au Maroc.
De plus, la Source allègue que les 18 personnes n'ont pas eu accès à un avocat lors de leurs premiers interrogatoires, ce que le gouvernement a nié. Sur ce point, le Groupe de travail a constaté une violation du droit des 18 personnes à préparer leur défense, en vertu de l'article 14 du Pacte.
Finalement, alors que la source alléguait que les 18 individus détenus n'avaient toujours pas accès aux charges retenues contre elles, le gouvernement a démenti cette allégation. Étant donné que les jugements respectifs rendus à l'issue des procès des 18 personnes détaillent ces accusations, le Groupe de travail n'a constaté aucune violation à cet égard. Par ailleurs, en ce qui concerne les allégations faites par la source concernant certains éléments de preuve utilisés et les questions posées au cours du procès, le Groupe de travail a jugé qu'il n'était pas de son ressort de se prononcer sur de telles questions.
Par conséquent, compte tenu de tout ce qui précède, le groupe de travail a estimé que les détentions respectives de ces 18 personnes étaient arbitraires et relevaient de la catégorie III.
CONCLUSIONS DU GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES CONTRE LA DÉTENTION ARBITRAIRE
À la lumière de ce qui précède, le groupe de travail des Nations Unies contre la détention arbitraire a estimé que les détentions de Messieurs Abbahah, Boutangiza, Bani, Laaroussi, Lakhfaouni, Sbai, Lemjaid, Ismaili, Babait, Lefkir, Asfari, Bouryal, Haddi, Azaoui, Toubali, Khadda, Eddah et Tahlil étaient arbitraires et relevaient des catégories I et III car leur privation de liberté était contraire aux articles 3, 9 et 11 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, et des articles 9 et 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Le groupe de travail a exhorté le gouvernement Marocain d'enquêter sur les circonstances des violations de ses droits et de prendre les mesures appropriées à l'encontre des personnes qui en sont responsables. Le Groupe de travail a estimé que, compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire, la solution appropriée serait de les libérer immédiatement et de leur accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d'autres réparations, conformément au droit international. Le groupe de travail s'est également déclaré préoccupé par les nombreux cas présumés de détention arbitraire au Sahara occidental, et en particulier ceux liés au camp de Gdeim Izik.
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