La Ligue Internationale Contre la Détention Arbitraire exhorte la République du Nicaragua à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre l'avis n° 69/2023 du Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire concernant Adrián Alexander Arana, Ángel Sebastián Martínez Arana, Richard de Jesús Martínez Arana, Bryan Kessler Alemán, Carlos Antonio López Cano, Denis Antonio García Jirón, Fanor Alejandro Ramos, Francisco Xavier Pineda Guatemala, Gustavo Adolfo Mendoza Beteta, Jairo Lenin Centeno Ríos, Kaled Antonio Toruño Maradiaga, Luis Carlos Valle Tinoco, Manuel de Jesús Sobalvarro Bravo, Mauricio Javier Valencia Mendoza, Jhon Christopher Cerna Zúñiga, Nilson José Membreño, Osmar Ramón Vindell López, Richard Alexander Saavedra Cedeño, Víctor Manuel Díaz Pérez, Yader Antonio Polanco Cisneros, Michael David Caballero Ayala, Edgard Antonio Ayala Valle et Michael Rodrigo Samorio Anderson. Il est demandé au Nicaragua de les libérer immédiatement et de leur accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d'autres réparations conformément au droit international.
Lire l'intégralité de l'avis du Groupe de Travail sur cette affaire : Avis n° 69/2023.
23 PERSONNES ARRÊTÉES DANS DES CIRCONSTANCES DIFFÉRENTES
Les 23 personnes mentionnées dans cet avis sont toutes des ressortissants nicaraguayens nés entre 1962 et 2002, ce qui signifie que le plus jeune d'entre eux avait 17 ans au moment de son arrestation. Ils exerçaient tous des activités professionnelles (ou autres) différentes au moment de leurs arrestations respectives.
Messieurs Mendoza Beteta, García Jirón, Ramos et Toruño Maradiaga avaient participé aux manifestations anti-gouvernementales de 2018 au Nicaragua. Certains manifestaient également leur désaccord avec le gouvernement par d'autres moyens, par exemple, M. Ramos avait également refusé de coopérer avec la police lorsqu'ils avaient essayé de le recruter. Alors que Messieurs Toruño Maradiaga et Mendoza Beteta ont été poursuivis sous différents chefs d'accusation à la suite de leur participation à ces manifestations - tous deux ayant été libérés par la suite -, M. Ramos a été surveillé par la police et M. García Jirón a été persécuté au point de devoir fuir temporairement au Costa Rica. Tous ont été arrêtés entre octobre 2019 et octobre 2020, à différents endroits (par exemple, dans un centre commercial ; sur la route...) par différentes forces de police (de simples agents à des membres de la Direction des opérations spéciales de la police). Il semble que tous aient été condamnés, entre mai et octobre 2020, à des peines d'emprisonnement allant de 5 à 20 ans et à des amendes. Tandis que Messieurs Mendoza Beteta et Ramos ont été condamnés pour trafic ou stockage de stupéfiants, de substances psychotropes et d'autres substances contrôlées ; M. García Jirón a été condamné pour fabrication, trafic, possession et usage d'armes à autorisation restreinte ou de dispositifs explosifs ; et M. Toruño Maradiaga a été condamné pour trafic de stupéfiants, possession illégale d'armes à autorisation restreinte et fabrication ou possession d'explosifs.
Messieurs Adrián Arana, Ángel Arana et Richard Arana sont frères. Le 19 mars 2019, ils ont été arrêtés à leur domicile par des policiers de Managua, et ont été condamnés, le 11 janvier 2021, à 5 ans et 6 mois de prison pour délit de vol aggravé avec violence.
Le reste des individus mentionnés, Messieurs Centeno Ríos, Membreño, Pineda Guatemala, Valle Tinoco, Sobalvarro Bravo, Valencia Mendoza, Polanco Cisneros, Samorio Anderson, López Cano, Vindell López, Saavedra Cedeño, Díaz Pérez, Caballero Ayala, Ayala Valle, Kessler Alemán et Cerna Zúñiga, ont été arrêtés entre juillet 2018 et mars 2021, dans différentes circonstances (par exemple, à leur domicile ; à la salle de sport ; au poste de police ; dans un bus...) et par différentes forces de police ou forces armées (par exemple, des policiers de différents districts de Managua, ou de León ; des agents de la Direction des opérations spéciales de la police ; des paramilitaires). À l'exception de M. Vindell López, pour lequel la source n'a pas fourni de détails concernant une éventuelle condamnation ou d'éventuelles accusations, et sur la base des informations disponibles dans l'avis, il semble que toutes les autres personnes aient été inculpées ou condamnées entre décembre 2018 et janvier 2021.
Ces 15 personnes ont été respectivement accusées ou condamnées pour les crimes suivants et se sont vu attribuer les peines suivantes (lorsqu'elles sont connues) : M. Centeno Ríos a été reconnu coupable de possession de stupéfiants, de substances psychotropes et d'autres substances contrôlées, et condamné à 5 ans et 6 mois de prison et à une amende ; M. Membreño a été reconnu coupable de conspiration en vue du trafic de stupéfiants, de fabrication, de possession et d'utilisation d'armes, et d'utilisation inappropriée d'emblèmes et d'uniformes de l'armée et de la police, et condamné à 10 ans et 9 mois de prison ; M. Pineda Guatemala a été accusé de possession d'une arme à feu prohibée ; M. Valle Tinoco a été reconnu coupable de vol aggravé et de possession illégale d'armes, et condamné à un total de 8 ans de prison ; M. Sobalvarro Bravo a été reconnu coupable de trafic et de possession d'armes, et condamné initialement à un total de 6 ans et 6 mois de prison ; M. Valencia Mendoza a été reconnu coupable de port d'armes à feu à autorisation restreinte, et condamné à 7 ans de prison et une amende ; M. Polanco Cisneros a été accusé de meurtre et finalement condamné à 22 ans et 6 mois de prison ; M. Samorio Anderson a été reconnu coupable de crimes inconnus et condamné à 6 ans de prison ; M. Kessler Alemán a été reconnu coupable de crimes inconnus et condamné à 6 ans de prison et une amende ; M. Cerna Zúñiga a été reconnu coupable de crimes inconnus et condamné à 12 ans de prison et à une amende ; et enfin, Messieurs López Cano, Saavedra Cedeño, Díaz Pérez, Caballero Ayala et Ayala Valle ont tous été reconnus coupables de crimes inconnus.
Bien qu'ayant la possibilité de le faire, le gouvernement nicaraguayen n'a pas répondu aux allgéations émises par la source.
ABSENCE DE MANDAT D'ARRÊT, D'EXPLICATION DES CHARGES RETENUES CONTRE EUX ET DÉLAIS DE PRÉSENTATION DEVANT UN JUGE
Les 23 personnes ont été automatiquement placées en détention préventive, comme le permet la législation nationale pour certains crimes. Le Groupe de Travail a rappelé sa propre jurisprudence, notamment concernant le Nicaragua, dans laquelle il a estimé que l'application automatique d'une telle détention sans aucun contrôle judiciaire était contraire aux normes internationales, car elle n'était pas justifiée par une évaluation individualisée de chaque cas. Comme cette application automatique a été constatée pour les 23 individus, le Groupe de Travail a donc conclu à une violation des articles 3 et 9 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et de l'article 9 (3) du Pacte.
En outre, à l'exception de Messieurs Membreño, Polanco Cisneros et Díaz Pérez, les autres détenus n'ont pas reçu de mandat d'arrêt, n'ont pas été informés des raisons de leur arrestation ni des charges retenues contre eux en temps voulu. Ainsi, le Groupe de Travail a estimé que, le gouvernement nicaraguayen n'ayant pas fourni ces explications à ces 20 détenus, droits que leur confèrent les articles 3 et 9 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et les paragraphes 1 et 2 de l'article 9 du Pacte ont été violés.
Par ailleurs, l'article 9 (3) du Pacte dispose que toute personne arrêtée pour une infraction pénale doit être traduite dans le plus court délai devant un juge. Le Groupe de Travail a noté que huit des 23 individus - à savoir Messieurs Valle Tinoco, Sobalvarro Bravo, López Cano, Membreño, García Jirón, Caballero Ayala, Ayala Valle et Ramos - n'ont été présentés à une autorité judiciaire qu’entre trois à cinq jours après leur arrestation. Selon le Groupe de Travail, ces délais ont nettement violé l'article 9 (3) du Pacte, qui considère généralement que 48 heures constitue le délai maximum autorisé avant qu'une personne arrêtée ne soit présentée à un juge.
Par conséquent, le Groupe de Travail a conclu que les arrestations et les détentions de ces 23 personnes étaient dépourvues de base légale, les rendant ainsi arbitraires au sens de la catégorie I.
VIOLATION DE LEURS DROITS À LA LIBERTÉ D'OPINION, D'EXPRESSION ET DE PARTICIPATION
Selon la source, les détentions de Messieurs García Jirón, Ramos et Mendoza Beteta résultaient directement de leur opposition au Gouvernement et de leur participation active à des manifestations antigouvernementales en 2018. Compte tenu des éléments présentés par la source et de l'absence de réponse du Gouvernement, le Groupe de Travail a conclu que ces trois personnes ont effectivement été ciblées en raison de leurs opinions politiques et de leurs efforts pour plaider en faveur d'un changement démocratique. Ainsi, le Groupe de Travail a estimé que leur détention résultait de l'exercice légitime de leurs droits à la liberté d'opinion et d'expression, ainsi que de leur position critique à l'égard du gouvernement, en violation des articles 19, 20 et 21 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, ainsi que des articles 19, 21 et 25 du Pacte.
Par conséquent, le Groupe de Travail a conclu que les détentions de Messieurs García Jirón, Ramos et Mendoza Beteta étaient arbitraires et relevaient de la catégorie II.
VIOLATIONS MULTIPLES DU DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE
Selon la source, Messieurs López Cano, Ramos, Pineda Guatemala, Mendoza Beteta, Centeno Ríos, Toruño Maradiaga, Vindell López et Díaz Pérez se sont vu refuser des entretiens privés avec leurs avocats respectifs. Cette allégation n'ayant pas été réfutée par le Gouvernement, le Groupe de Travail a estimé que le fait de ne pas permettre à ces huit détenus d'avoir un accès suffisant - et privé - à leurs avocats respectifs constituait une violation de leur droit à une représentation juridique effective et de leur droit à disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de leur défense, tels qu'ils sont énoncés à l’article 14 (3) (b) du Pacte.
La source a également indiqué que Messieurs García Jirón, Membreño, Caballero Ayala et Ayala Valle ont été présentés aux médias comme coupables avant leur procès, ce qui a influencé l'opinion publique et favorisé les préjugés à leur encontre. Le Groupe de Travail a donc conclu à une violation du droit de ces quatre personnes à la présomption d'innocence, et donc à un procès équitable, garanti par l'article 11 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et l'article 14 du Pacte.
En outre, le Groupe de Travail s'est déclaré profondément préoccupé par les allégations de torture formulées à l'encontre de M. Sobalvarro Bravo, qui n'ont pas été réfutées par le Gouvernement. Si elles étaient avérées, ces allégations constitueraient des violations des articles 5 et 25 (1) de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et des articles 7 et 10 (1) du Pacte. Le Groupe de Travail a souligné que la torture constitue non seulement une violation grave des Droits de l'Homme en elle-même, mais qu'elle compromet également la capacité des individus à se défendre, entravant ainsi l'exercice de leur droit à un procès équitable, en particulier le droit à la présomption d'innocence prévu à l'article 14 (2) du Pacte et le droit de ne pas être contraint de témoigner contre soi-même en vertu de l'article 14 (3) (g) du Pacte.
Par conséquent, le Groupe de Travail a conclu que les violations du droit à un procès équitable de Messieurs López Cano, García Jirón, Ramos, Pineda Guatemala, Mendoza Beteta, Centeno Ríos, Toruño Maradiaga, Sobalvarro Bravo, Membreño, Vindell López, Díaz Pérez, Caballero Ayala et Ayala Valle étaient suffisamment graves pour rendre leur détention arbitraire selon la catégorie III.
CONCLUSIONS DU GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES SUR LA DÉTENTION ARBITRAIRE
À la lumière de ce qui précède, le Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire a conclu que la détention des 23 personnes susmentionnées était arbitraire et relevait des catégories I, II et III, car leur privation de liberté était contraire aux articles 9 et 14 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques.
Le Groupe de Travail a exhorté le gouvernement nicaraguayen à mener une enquête approfondie sur les circonstances de ces violations et à prendre des mesures appropriées à l'encontre des responsables. Le Groupe de Travail a estimé que, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l'affaire, le recours approprié serait la libération immédiate de ces personnes et l'octroi d'un droit exécutoire à une indemnisation et à d'autres réparations, conformément au droit international.
En outre, le Groupe de Travail s'est dit préoccupé par le contexte plus large des détentions arbitraires au Nicaragua et a exhorté le gouvernement à mettre en œuvre les réformes nécessaires pour prévenir de telles violations à l'avenir.
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