ARABIE SAOUDITE : DÉTENTION ARBITRAIRE DU MANIFESTANT CHIITE SAUD BIN MOHAMMED BIN ALI AL-FARAJ
- ILAAD
- 18 mars 2024
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Dernière mise à jour : 16 juil.
La Ligue Internationale contre la Détention Arbitraire exhorte le Gouvernement saoudien à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre l'avis n° 26/2024 du Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire concernant Saud Bin Mohammed Bin Ali Al-Faraj, en demandant au gouvernement saoudien de le libérer immédiatement et sans condition et de lui accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d'autres réparations conformément au droit international.
Lire l'avis complet du GTDA concernant Saud Bin Mohammed Bin Ali Al-Faraj (Arabie Saoudite) : Avis No. 26/2024.
ARRESTATION DE L'HOMME D'AFFAIRES MR. AL-FARAJ SOUS L'INCULPATION DE TERRORISME
Saud Bin Mohammed Bin Ali Al-Faraj est un ressortissant saoudien, né en 1980. Il résidait à Al-Awamiyah, où il exerçait une activité commerciale depuis 15 ans au moment de son arrestation.
En 2011 et 2012, M. Al-Faraj a participé à des manifestations pour protester contre le traitement de la minorité chiite à Qatif, et a ensuite assisté aux funérailles de personnes qui auraient été tuées par les forces gouvernementales lors de ces manifestations. Début novembre 2019, il lui a été demandé de collaborer avec les autorités gouvernementales, ce qu'il a refusé. Deux semaines plus tard, les entrepôts de son entreprise ont été perquisitionnés par ces mêmes autorités, et son matériel de construction a été confisqué.
Vers 3 heures du matin, le 2 décembre 2019, alors qu'il rentrait chez lui avec sa famille, il a vu des chars dans sa rue, et a constaté que toutes les portes de sa maison avaient été criblées de balles. Sa maison avait été perquisitionnée et fouillée, et des explosifs y auraient été trouvés. Au lieu de rentrer chez lui, M. Al-Faraj et sa famille se sont rendus dans l'un des entrepôts de son entreprise, rue Dweij. Quelques heures plus tard, il a été brutalement arrêté par les forces gouvernementales qui avaient fait une descente dans l'entrepôt. On lui a bandé les yeux et on l'a fait monter dans une voiture.
La brigade s'est arrêtée au « centre d'enquête » le plus proche, où il a été contraint d'apposer ses empreintes digitales sur un morceau de papier inconnu. M. Al-Faraj a été transféré immédiatement à la prison générale de Dammam, où il a été remis à une personne présentée comme un enquêteur chargé de l'affaire. Après qu'on lui ait retiré son bandeau, il a vu qu'un de ses proches avait également été arrêté, et on lui a dit de coopérer en échange de la sécurité de son proche. Après plusieurs passages à tabac, agressions sexuelles et menaces, il a fini par avouer.
M. Al-Faraj a été maintenu à l'isolement depuis la date de son arrestation, le 2 décembre 2019, jusqu'au 8 août 2021. Le 22 juin 2021, il a été transféré dans une autre prison, sans notification préalable. Peu après, il a été présenté à un procureur et à un juge, et a été informé des nombreuses charges retenues contre lui, toutes en vertu des lois sur la lutte contre le terrorisme et le financement du terrorisme, sur les explosifs et les pétards, sur les armes et les munitions, sur les délits de contrefaçon ainsi que de la loi sur la lutte contre la cybercriminalité.
Il a été condamné à mort le 3 novembre 2022 par le Tribunal Pénal Spécialisé. Le 6 décembre 2022, son avocat a fait appel de la décision devant la Cour d'appel Pénale Spécialisée, qui a confirmé la sentence le 31 janvier 2023. Au moment de la communication de la source, l'affaire de M. Al-Faraj était pendante devant la Cour suprême depuis le 15 mars 2023, et il était alors détenu à la prison de Dammam.
Le gouvernement a eu la possibilité de contester ces allégations, ce qu'il a fait le 29 février 2024.
ARRÊTÉ SANS MANDAT D'ARRÊT, DÉTENU AU SECRET ET NON TRADUIT RAPIDEMENT DEVANT UN JUGE
Alors que selon la source, M. Al-Faraj ne s'est pas vu présenter de mandat d'arrêt ni expliquer la raison de son arrestation au moment de son arrestation, le Gouvernement a démenti cette allégation, expliquant qu'un mandat avait été délivré et que M. Al-Faraj avait été informé le jour de son arrestation des raisons de son arrestation, ainsi que de ses droits. Le Groupe de Travail a rappelé que l'émission et la présentation à la personne arrêtée d'un mandat d'arrêt sont deux choses différentes. Ainsi, puisque le gouvernement n'a pas précisé si le mandat d'arrêt avait effectivement été présenté à M. Al-Faraj au moment de son arrestation, il a estimé que son arrestation constituait une violation des articles 3 et 9 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Cette conclusion a été renforcée par la jurisprudence récente du Groupe de Travail concernant l'absence de mandat d'arrêt présenté par les autorités saoudiennes.
La source affirme que M. Al-Faraj a été détenu au secret depuis son arrestation le 2 décembre 2019 jusqu'au 8 août 2021, c'est-à-dire pendant 21 mois. Pendant cette période, il a été détenu à l'isolement et s'est donc vu refuser le droit de recevoir la visite de sa famille et de correspondre avec elle. Bien que le Gouvernement l'ait nié, le Groupe de Travail a jugé cette réponse trop générale et a donc conclu que l’arrestation de M. Al-Faraj l'avait empêché d'entrer en contact avec le monde extérieur, en violation des principes 15 et 19 de l'Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement et des règles 43 (3), 58 et 68 des Règles Nelson Mandela.
En outre, M. Al-Faraj aurait été privé du droit de contester la légalité de sa détention, du droit d’être traduit rapidement devant un juge et donc du droit d’accéder à un recours effectif. En effet, alors qu’il a été arrêté le 2 décembre 2019, il n’a été présenté devant un juge qu’en juin 2021. Compte tenu de l’absence de réponse spécifique du Gouvernement et de l’impossibilité de soumettre des plaintes directement aux autorités judiciaires, le Groupe de Travail a estimé que cette situation constituait une violation des articles 3, 8 et 9 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
La source a fait valoir que les accusations pour lesquelles M. Al-Faraj a été arrêté reposaient sur des dispositions trop générales, ce que le Gouvernement a nié, affirmant que les lois en Arabie Saoudite étaient toutes rédigées avec suffisamment de précision. Rappelant sa jurisprudence et les conclusions d’autres organes de l’ONU, le Groupe de Travail a estimé que la loi contre la cybercriminalité et la loi antiterroriste de 2017 contenait des dispositions vagues et formulées en termes généraux, ce qui rendait l’arrestation de M. Al-Faraj contraire au principe de légalité énoncé à l’article 11 (2) de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Le Groupe de Travail a donc conclu que l’arrestation et la détention de M. Al-Faraj n’avaient aucune base légale. Sa privation de liberté est donc qualifiée d’arbitraire au titre de la catégorie I.
DÉTENU POUR AVOIR EXERCÉ SES DROITS À LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE, D’EXPRESSION ET DE RÉUNION PACIFIQUE
La source a expliqué que M. Al-Faraj avait été arrêté pour terrorisme, mais qu’il n’existait aucune preuve crédible montrant qu’il avait participé à une activité terroriste ou possédait un quelconque type d’armes ou d’explosifs. La source a plutôt soutenu qu’il avait été arrêté pour avoir participé pacifiquement à des manifestations contre le traitement réservé par l’État à la minorité chiite, ainsi que pour avoir refusé de se conformer aux ordres du Gouvernement. Le Gouvernement a nié ces allégations en des termes assez généraux.
Le Groupe de Travail a rappelé l’absence de légalité des accusations sur la base desquelles M. Al-Faraj a été arrêté et condamné, ainsi que sa propre jurisprudence et celle d’autres organes de l’ONU concernant la détention arbitraire liée à l’exercice des libertés fondamentales en Arabie Saoudite. Dans ce contexte, le Groupe de Travail a estimé que la conduite de M. Al-Faraj relevait de ses droits à exercer sa liberté de conscience, d’expression et de réunion pacifique, protégés respectivement par les articles 18, 19 et 20 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Ces préoccupations ont été soulignées à plusieurs reprises et, au moment où le présent avis a été rendu, n’avaient toujours pas été prises en compte par le Gouvernement.
Le Groupe de Travail a conclu que la détention de M. Al-Faraj était arbitraire au sens de la catégorie II.
VIOLATIONS MULTIPLES DU DROIT À UN PROCÈS ÉQUITABLE
Selon la source, M. Al-Faraj aurait été privé de son droit à l’assistance d’un avocat. Le Gouvernement a nié cette allégation, affirmant qu’il avait été informé de ce droit le jour de son arrestation, ce qu’il avait reconnu en signant un document, et qu’il avait eu accès à trois avocats de son choix et à trois autres rémunérés par l’État, qui lui ont rendu visite en détention. La source a déclaré qu’un seul avocat avait été commis d’office et a noté que le Gouvernement n’avait pas précisé quand M. Al-Faraj avait pu rencontrer ou communiquer avec ledit avocat pour la première fois.
Compte tenu des réponses générales du Gouvernement, le Groupe de Travail a conclu qu’il n’avait respecté le droit de M. Al-Faraj à l’assistance d’un avocat à aucun moment, y compris pendant sa détention au secret. Le Groupe de Travail a ainsi constaté des violations de son droit à se défendre dans toute procédure judiciaire, à la liberté et à la sécurité de sa personne, à un procès public et équitable devant un tribunal compétent, indépendant et impartial, et à sa capacité de se défendre. L’ensemble de ces droits sont consacrés par les articles 3, 9, 10 et 11 (1) de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. En outre, ces violations ont été aggravées par la peine de mort à laquelle M. Al-Faraj était confronté.
De plus, il n’a pas eu accès à un avocat pendant sa détention et ses interrogatoires, ce qui a nui à sa capacité à préparer et à présenter sa défense. Le Groupe de Travail a conclu qu’il s’agissait d’une violation de son droit à l’égalité des armes, à un délai suffisant pour préparer sa défense et à un procès équitable, protégés par les articles 10 et 11 (1) de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
M. Al-Faraj aurait été victime de plusieurs actes de torture pendant sa détention, au point qu’il aurait été transféré une fois en fauteuil roulant à l’hôpital. La source a expliqué que ces actes visaient à lui extorquer des aveux, ce qui a finalement abouti. A plusieurs reprises, M. Al-Faraj a affirmé avoir été torturé, que ce soit par le biais de lettres adressées au Prince Héritier ou à différentes autorités judiciaires, mais rien de tout cela n’a conduit à une enquête sur ces allégations. En outre, la source a déclaré que le verdict rendu contre M. Al-Faraj était principalement basé sur ses aveux forcés. Le Gouvernement a nié tout ce qui précède, précisant notamment que d’autres éléments de preuve avaient été utilisés pour le verdict en dehors des aveux de M. Al-Faraj.
A cet égard, le Groupe de Travail a d’abord rappelé que M. Al-Faraj avait été détenu à l’isolement pendant 21 mois après son arrestation, et qu’un tel traitement pouvait être assimilé à de la torture au sens de l’article premier de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Le Groupe de Travail a ensuite rappelé que le fait d’obtenir des aveux par des mauvais traitements constituait une violation de l’article 15 de la Convention contre la torture. À la lumière de la réponse imprécise fournie par le Gouvernement, le Groupe de Travail a conclu que la source avait présenté des allégations crédibles pouvant être assimilées à des actes de torture. Sur la base de sa jurisprudence, le Groupe de Travail a noté que la torture et les mauvais traitements constituaient non seulement une grave violation des droits de l’homme, mais constituaient également une violation du droit à un procès équitable, car ils compromettaient la capacité de se défendre. Le Groupe de Travail a donc renvoyé cette affaire au Rapporteur Spécial sur la Torture.
Enfin, la source a fait valoir que le Tribunal Pénal Spécialisé et sa juridiction d’appel manquaient d’indépendance et d’impartialité en tant qu’organes judiciaires, car ils auraient été de plus en plus influencés par le pouvoir exécutif et auraient ainsi été utilisés pour poursuivre des défenseurs des droits de l’homme et des militants politiques. Le Gouvernement a nié cette allégation.
Le Groupe de Travail a rappelé sa jurisprudence, ainsi que les conclusions antérieures de différents organes des Nations Unies, concernant le manque d’indépendance du Tribunal Pénal Spécialisé. Plus précisément, le Comité contre la torture a constaté que les allégations de torture formulées par des suspects accusés de terrorisme avaient systématiquement été rejetées. À la lumière de ces éléments, le Groupe de Travail a conclu que le procès de M. Al-Faraj devant le Tribunal Pénal Spécialisé et la Cour d'appel Pénale Spécialisée avait constitué une violation de l'article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
Par conséquent, compte tenu de tout ce qui précède, le Groupe de Travail a estimé que la violation du droit à un procès équitable de M. Al-Faraj avait été d'une gravité telle qu'elle rendait sa privation de liberté arbitraire au titre de la catégorie III.
DÉTENTION FONDÉE SUR LA RELIGION
La source a fait valoir que M. Al-Faraj avait été pris pour cible en raison de son appartenance à la minorité chiite, ce que le Gouvernement a nié en faisant valoir qu'il n'avait été arrêté qu'en relation avec ses crimes terroristes. La source a détaillé les nombreuses discriminations auxquelles la minorité religieuse chiite était confrontée et a noté que l'arrestation, le procès et la condamnation à mort de M. Al-Faraj avaient eu lieu à la suite de diverses manifestations en 2011 pour les droits de la minorité chiite. Le Groupe de Travail a rappelé plusieurs cas antérieurs dans lesquels des personnes chiites avaient été exécutées, ainsi que les conclusions antérieures d'autres organes de l'ONU concernant les minorités ethno-religieuses en Arabie Saoudite. Le Groupe de Travail a donc estimé que M. Al-Faraj avait été pris pour cible de manière discriminatoire, notamment en raison de sa religion, en violation des articles 2 et 7 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Le Groupe de Travail a donc jugé que la privation de liberté de M. Al-Faraj était arbitraire au titre de la catégorie V.
CONCLUSION DU GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES CONTRE LA DÉTENTION ARBITRAIRE
A la lumière de ce qui précède, le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a estimé que la détention de Saud Bin Mohammed Bin Ali Al-Faraj était arbitraire et relevait des catégories I, II, III et V car sa privation de liberté était contraire aux articles 2, 3, 7, 9, 10, 11, 18, 19 et 20 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Le Groupe de Travail a recommandé au Gouvernement saoudien de prendre les mesures nécessaires pour remédier sans délai à la situation de Saud Bin Mohammed Bin Ali Al-Faraj et la rendre conforme aux normes internationales pertinentes. Le Groupe de Travail a estimé que, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, la solution appropriée serait de libérer immédiatement Saud Bin Mohammed Bin Ali Al-Faraj et de lui accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d’autres réparations, conformément au droit international.
Le Groupe de Travail a également exhorté le Gouvernement à assurer une enquête complète et indépendante sur les circonstances entourant la privation arbitraire de liberté de M. Al-Faraj et à prendre les mesures appropriées. Enfin, il a demandé au Gouvernement de mettre sa législation en conformité avec les recommandations de l’avis.
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