La Ligue Internationale contre la Détention Arbitraire exhorte le Gouvernement de Turquie à prendre toutes les mesures nécessaires pour mettre en œuvre l'Avis No. 6/2024 du Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire concernant Meryem Tekin, en demandant au Gouvernement Turque de le libérer immédiatement et sans condition et de lui accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d'autres réparations conformément au droit international.
Lire l'avis complet du GTDA concernant Meryem Tekin (Turquie) : Avis No. 6/2024.
UNE ENSEIGNANTE ARRÊTÉE POUR SES LIENS PRÉSUMÉS AVEC UNE ORGANISATION TERRORISTE
Mme Meryem Tekin, enseignante de nationalité turque, née en 1985, a été arrêtée le 20 septembre 2018 à son domicile par la police, apparemment en raison de liens présumés avec l'organisation terroriste Fethullahiste (FETÖ). Elle a été menottée, emmenée au poste de police et interrogée.
Elle a ensuite été accusée, entre autres, d'avoir un compte bancaire à la Bank Asya, d'avoir suivi, partagé ou de retweeté des contenus liés à l'organisation terroriste Fethullahiste, et de travailler pour des institutions qui lui sont affiliées. À ce titre, elle a été inculpée d'appartenance à une organisation armée, en violation de l'article 314 du Code Pénal. Au moment de la communication de la source, elle était détenue depuis cinq ans en détention préventive dans une prison de Bursa.
Le Gouvernement Turc a eu la possibilité de répondre à ces allégations, ce qu'il a fait le 31 octobre 2023.
ABSENCE DE MANDAT D'ARRÊT
La source a affirmé que l'arrestation de Mme Tekin n'avait pas de base légale appropriée, car aucun mandat d'arrêt ne lui aurait été présenté lors de son interpellation. La réponse du Gouvernement n'a pas abordé cette question de manière satisfaisante, se contentant d'affirmer que sa détention était justifiée par des liens présumés avec le terrorisme et par les exigences de l'état d'urgence. Cependant, il est à noter que Mme Tekin a été arrêtée environ deux mois après la levée de l'état d'urgence en Turquie, rendant difficile l'utilisation de cette situation particulière comme justification des conditions de son arrestation. Par conséquent, le Groupe de Travail a conclu que Mme Tekin avait été arrêtée sans mandat, en violation de son droit à la liberté et à la sécurité, tel qu'énoncé dans les articles 3 et 9 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
En conclusion, le Groupe de Travail a déterminé que la détention de Mme Tekin était arbitraire au sens de la catégorie I, puisque son arrestation n'avait pas de base légale.
DÉTENUE POUR AVOIR EXERCÉ SES LIBERTÉS FONDAMENTALES
La source a également affirmé que l'arrestation de Mme Tekin était liée à son association présumée avec l'organisation terroriste Fethullahiste, en violation de plusieurs de ses droits fondamentaux. Plus précisément, elle a été accusée d'avoir un compte bancaire à la Bank Asya, d'avoir suivi et partagé du contenus provenant de comptes liés au Fethullahisme sur les réseaux sociaux, et d'avoir travaillé pour des institutions affiliées à ce mouvement. Toutefois, le Gouvernement n'a fourni aucune preuve de ces allégations.
Dans ces conditions, le Groupe de Travail a rappelé sa jurisprudence ainsi que les conclusions formulées précédemment par d'autres organes des droits de l'homme concernant l'utilisation d'activités criminelles présumées pour justifier une restriction des libertés fondamentales, ainsi que l'utilisation de By Lock comme preuve présumée d'activités criminelles - bien que son utilisation en elle-même soit protégée par l'article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme. Le Groupe de Travail a également évoqué le modèle qui est apparu en Turquie concernant le ciblage d'individus prétendument liés au mouvement Gülen.
Le Groupe de Travail a donc conclu que la détention de Mme Tekin était directement liée à l'exercice légitime de ses droits à la liberté d'expression et à la liberé de réunion pacifique, en violation des articles 19 et 20 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme.
En résumé, le Groupe de Travail a conclu que l'arrestation de Mme Tekin constituait une violation directe de ses droits fondamentaux, la plaçant dans la catégorie II.
DÉTENTION INDÉFINIE, MANQUE D'ACCÈS AU DOSSIER ET À UN AVOCAT
Depuis son arrestation le 20 septembre 2018, Mme Tekin a été maintenue en détention prolongée sans qu'aucune accusation officielle ne soit portée contre elle et sans qu'aucune date de procès ne soit fixée. Le Gouvernement n'a pas justifié ce retard. Dans ces circonstances, et compte tenu du fait que Mme Tekin a été placée en détention provisoire uniquement pour avoir exercé ses droits fondamentaux, le Groupe de Travail a estimé que cette détention indéfinie et l'absence de procès constituaient une violation de son droit à un procès sans retard excessif, tel que prescrit par l'article 14 (3) du Pacte.
En outre, la source a signalé que, comme de nombreux prisonniers politiques, Mme Tekin n'avait pas accès à son dossier. Bien que des restrictions puissent être légitimes sous certaines circonstances, le Groupe de Travail a jugé que le Gouvernement Turc n'avait pas justifié cette restriction, constituant ainsi une violation grave du droit à un procès équitable et public devant un tribunal indépendant, protégé par l'article 10 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et par l'article 14 (1) et (3) (b) du Pacte.
Enfin, Mme Tekin n'a pas eu accès à un avocat pendant les six premiers mois de sa détention, ce qui l'a exposée à un risque de coercition à des stades critiques de la procédure. En outre, même lorsqu'elle avait accès à un avocat, cet accès était limité car leurs conversations étaient enregistrées et surveillées par les agents pénitentiaires. Dans ces conditions, le Groupe de Travail a estimé que le droit de Mme Tekin de s'entretenir en privé avec son avocat sans surveillance - qui est un aspect fondamental d'un procès équitable - avait été violé, en violation de l'article 14 (3) (b) du Pacte.
Par conséquent, le Groupe de Travail a estimé que les violations du droit de Mme Tekin à un procès équitable étaient d'une gravité telle qu'elles rendaient sa détention arbitraire au sens de la catégorie III.
DÉTENTION SUR UNE BASE DISCRIMINATOIRE
Le Groupe de Travail a rappelé sa jurisprudence concernant la Turquie, qui comprend des cas similaires de personnes ciblées en raison de leurs liens présumés avec le mouvement Gülen. Dans ces affaires, le Groupe de Travail a déterminé que les détentions respectives de ces individus étaient fondées sur des motifs discriminatoires, en raison de leurs opinions politiques, en violation des articles 2 et 7 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et des articles 2(1) et 26 du Pacte. Étant donné que ce cas suit le même schéma, le Groupe de Travail a conclu que Mme Tekin avait également été détenue sur une base discriminatoire, en violation des articles susmentionnés.
Ainsi, la détention de Mme Tekin est également considérée comme arbitraire au titre de la catégorie V.
CONCLUSIONS DU GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES CONTRE LA DÉTENTION ARBITRAIRE
À la lumière de ce qui précède, le Groupe de Travail des Nations Unies sur la Détention Arbitraire a considéré que la détention de Mme Meryem Tekin était arbitraire et relevait des catégories I, II, III et V, car contraire aux articles 2, 7, 9, 10, 19 et 20 de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et 2, 9, 10, 14, 19, 21 et 26 du Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques.
Le Groupe de Travail a recommandé au Gouvernement Turc de prendre immédiatement des mesures pour remédier à la situation de Mme Tekin et de s'assurer qu'elle soit mise en conformité avec les normes internationales pertinentes. De plus, le Groupe de Travail a exhorté le Gouvernement à mener une enquête approfondie sur les circonstances de ces violations et à prendre des mesures appropriées contre les responsables.
Étant donné toutes les circonstances de l'affaire, le Groupe de Travail a estimé que la solution appropriée serait de libérer immédiatement Mme Tekin et de lui accorder un droit exécutoire à une indemnisation et à d'autres réparations, conformément au droit international.
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